Plusieurs acteurs de la chaîne du livre ont déjà eu la gentillesse de bien vouloir apporter ici leurs témoignages sur le sujet des fautes (voir articles du 11 octobre et du 18 octobre). Nous avons ainsi lu les commentaires avisés de lecteurs, d'éditeurs, d'écrivains publics, de chroniqueurs, de journalistes, d'auteurs et d'enseignants.
Ce sont aujourd'hui deux autres grands habitués des mots qui relatent leurs rencontres avec la "maltraitance" de la langue française.
Ce sont aujourd'hui deux autres grands habitués des mots qui relatent leurs rencontres avec la "maltraitance" de la langue française.
Champollion, priez pour nous !
Gilles Guillon est éditeur. Il dirige la collection Polars en Nord aux éditions Ravet-Anceau. L’orthographe, il connaît. Les fautes aussi…
Gilles Guillon - Éd. Ravet-Anceau |
Depuis cinq ans que le déchiffrage de manuscrits est devenu mon activité principale, j’ai appris à être tolérant avec l’orthographe. J’ai vite compris que la plupart des auteurs auraient eu zéro en dictée si j’avais dû les noter. Aujourd’hui quand je découvre un manuscrit comportant moins d’une faute par page, je m’inquiète. Ai-je raté quelque chose ? Suis-je en train de lire les yeux fermés ? J’exagère à peine en disant qu’une copie sans faute est devenue une exception. C’est d’autant plus inquiétant que beaucoup d’apprentis écrivains sont des enseignants.
Même si j’ai appris à devenir indulgent avec l’orthographe des autres, la constance de certaines bizarreries continue de m’étonner. Cela concerne surtout l’usage de la ponctuation, un art oublié. Peut-être faudrait-il enseigner le code typo dans les écoles ; cela éviterait l’abus des points d’exclamation qu’on retrouve par paquets de trois ou quatre à la fin de chaque phrase. Louis-Ferdinand Céline doit avoir le tournis dans sa tombe à force de voir ses émules en faire un usage immodéré. Quand ce n’est pas le point d’exclamation qui pullule, ce sont les points de suspension. Normalement, ils vont par groupe de trois, pourtant certains persistent à les utiliser par paire ou par quatre, cinq ou six, voire plus… Autre signe de ponctuation dont l’usage évolue hors des règles : la virgule. J’en retrouve régulièrement à des endroits inattendus. Cela vous viendrait-il à l’idée d’en placer une entre le sujet et le verbe ? Eh bien si, certains le font. La raison m’en échappe.
Passons sur les espaces. La version française de Word est paramétrée pour en laisser un automatiquement avant chaque point-virgule, point d’exclamation ou point d’interrogation. Pourquoi vouloir absolument les supprimer à ces endroits-là et en rajouter avant les virgules, les points ou entre les parenthèses ?
Dernière interrogation (parmi d’autres), savez-vous si l’on a commencé à commercialiser des ordinateurs qui ne comporteraient pas de touche avec le trait d’union ? Ce signe, qu’on appelle couramment le tiret du 6, semble avoir disparu de certains claviers. Je passe mon temps à ajouter des traits d’union oubliés dans les mots composés. Là j’exagère un peu. Pour être franc, il m’arrive aussi d’en supprimer. Dans « quand-même » ou dans « bien-que » par exemple…
Si je peux me permettre de donner un conseil à ceux qui vont m’envoyer un manuscrit : par pitié, passez votre texte au correcteur d’orthographe AVANT de me l’adresser. Ça me fait gagner du temps.
Gilles Guillon
« Petit éditeur et ancien premier de la classe en dictée (je n’ai aucun mérite, les autres étaient nuls). »
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« […] pour que l'on puisse apprécier le bijou, il faut que l'écrin donne envie. »
Laurence Patri est une dévoreuse de livres, créatrice et animatrice depuis plus de 5 ans du fameux Biblioblog, qui compte parmi les sites littéraires francophones les plus appréciés. Elle aussi, les fautes, elle en croise…
La "liseuse" du Biblioblog |
Ah les fautes, que celui qui n'en a jamais commis jette la première pierre ! Il y a pour moi deux types de fautes : celles que l'on fait parce que l'on va trop vite ou que l'on ne se relit pas suffisamment. Nous avons tous commis ce genre d'erreurs. Bien que très désagréables pour celui qui les lit, il n'y a pas pour autant de réelle stigmatisation pour celui qui les fait. Pourtant, ces mêmes erreurs nous horripilent, nous blessent l'œil, dès qu'on les retrouve dans des romans. Le livre a cette aura sacrée, cette aspiration à la perfection. Le lecteur, qui pourrait l'en blâmer, exige donc de la maison d'édition qu'elle les ait traquées jusqu'à la dernière pour les éliminer. Quand on ouvre un roman, on veut pouvoir se plonger entièrement dans l'intrigue et le style sans avoir l'impression de corriger une copie.
Mais il y a une autre catégorie de fautes bien plus inquiétante. Ce sont les fautes que l'on fait parce qu'on ne maîtrise pas sa propre langue. Combien – dans une autre vie – ai-je pu lire de copies où je devais déchiffrer, lire la phonétique pour comprendre le sens et les propos ? Comment dire quand on n'a pas les outils ? Comment se faire entendre quand sa propre langue devient un ennemi ? Victor Hugo disait : la forme c'est le fond qui remonte à la surface. Aujourd'hui, notre langue est devenue inaccessible à beaucoup, mais quelques-uns cachent au fond d'eux des trésors de poésie et de littérature. Je me souviens de ce garçon, quasi-illettré, qui avait "écrit" l'un des plus beaux textes que j'aie pu lire sur la banlieue. Bien sûr, si l'on s'attachait à la forme, ce texte aurait pu atterrir directement dans la corbeille à papiers tant chaque mot était torturé et maltraité. Mais en prenant le temps de le retranscrire dans une bonne orthographe, il y avait une poésie, un rythme et une émotion à couper le souffle. Ce texte, j'ai eu l'occasion de le lire à voix haute devant une assemblée saisie par la puissance du verbe. Voilà pourquoi cette deuxième catégorie de fautes me paraît plus alarmante.
Parce qu’au-delà de l'orthographe et de la grammaire, ce qui est au cœur d'un texte, c'est le style, le phrasé ; cette alchimie fascinante qui transforme une histoire, apparemment banale, en un joyau inestimable. Mais pour que l'on puisse apprécier le bijou, il faut que l'écrin donne envie. L'orthographe et la grammaire sont donc les finitions indispensables de la matière première.
Laurence Patri
À suivre ICI
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