lundi 8 novembre 2010

Les fautes... à qui la faute (4)

Dans le monde du livre, Jeanne Desaubry est à la croisée de tous les chemins : grande lectrice (elle chronique régulièrement ses coups de coeur pour l'Association et la revue 813, mais aussi sur son site), Jeanne est également auteure de romans policiers (son dernier roman, Dunes froides, est paru en 2009) et de nouvelles (elle a été primée au festival du Havre en 2006). Jeanne Desaubry est aussi éditrice et anime, avec Max Obione, les Éditions Krakoën.

Mais c'est surtout et enfin en tant que "maîtresse d'école" qu'elle s'exprime aujourd'hui sur l'orthographe et la langue française, en s'appuyant sur un thème qui n'a curieusement pas encore été abordé dans cette série d'articles...

La poésie du garde du corps.



Traduction :

"Je suis garde du corps
Je m’appelle Nestor
Je vais à l’aventure
Pour trouver une créature
J’aime faire un détour
Pour trouver l’amour."
Il faut remarquer que le mot « amour » est le seul que l’auteur (un certain Cédric, rendons-lui sa paternité) ait préservé. J’ai décidé que c’était bon signe. Ainsi, il y a des mots auxquels on ne saurait toucher, quand bien même on charcuterait tous les autres. Les puristes doivent s’évanouir d’horreur. Les braves pères et pères de famille qui tapent leur sms en faisant les accords quand ils préviennent leur progéniture que le train a du retard, sont contraints de faire un effort surhumain pour pénétrer la poésie du garde du corps…

C’est à Roissy-en-Brie, parmi les manifestations proposées autour du deuxième festival du polar, organisé par l’ami Antoine Blocier, que ce texte m’est tombé sous les yeux. Il est extrait de « tu’Er 2 100T’ *», petite plaquette de prévention des risques tabagiques. (*Traduction : « Tueur de Santé ! ») Une belle histoire édifiante, inventée en atelier d’écriture dans collèges et lycées, au sein de laquelle s’intercalent des petits poèmes. Bientôt édité, ce texte a pitié des parents, sa traduction en français normal sera présentée en regard de sa version sms.

En ce qui me concerne, j’écris clef avec le « f  » ancien, comme je l’ai appris autrefois. J’aime les mots rares et précieux, quand bien même je m’efforce à une langue simple et transparente pour mes lecteurs. Il n’y a pas, pour moi, plus beau cadeau que la découverte d’un nouveau mot. Je me rappelle de mon ravissement quand j’ai couvert « bolduc » dans le dictionnaire. C’était donc un vrai mot, pas une fantaisie familiale ?

Comme maîtresse d’école – le mot est plus beau que celui d’institutrice - je corrige, sans trêve ni relâche. La correspondante que je suis tique à la lecture des mails ou autres courriers souvent truffés, non pas de fautes de frappe, nous en faisons tous, ou de fautes d’étourderie, mais d’erreurs grossières qui révèlent un manque de respect regrettable de notre langue magnifique. Je ne parle pas de ma confusion quand je débusque de telles erreurs dans un texte issu de ma propre plume, ou de mon clavier. Comme éditrice, je recherche sans cesse des correcteurs à l’œil aigu, je fais tourner des logiciels de correction, et me désespère lorsque, dans le « produit livre » fini, je découvre d’horribles scories m’ayant échappé.

Et pourtant je suis ravie de ces jeux de langues que nous offrent les ados. La permanence du poème d’amour, quelle que soit sa forme, me réjouit le cœur. Notre langue, aussi bien écrite que parlée, est issue d’un long processus de mutation. « Clef » le montre bien, qui a perdu, quelque part, son f. Le temps consacré à la lecture, les supports, la disponibilité pour écrire, les outils pour le faire, tout change.

Maintenons, maintenons. Corrigeons, enseignons, mais ne faisons pas de l’orthodoxie orthographique la tour de cristal d’une élite satisfaite d’elle-même, prétexte à rejeter la plèbe ignare !

Il n’empêche que j’aimerais que l’auteur de cet ineffable poème apprenne à bellement écrire.

On l’aura compris : je n’arrive pas à avoir d’idée définitive sur le sujet…

Jeanne Desaubry

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